Deep Survival, de Laurence Gonzales (Résumé du livre)


-----------------

Titre original : Deep Survival: Who Lives, Who Dies, and Why: True Stories of Miraculous Endurance and Sudden Death

Version papier : 336 pages

Temps de lecture estimé : 9 heures environ

Achat du livre : cliquer ici

-----------------

Extraits :

“Survival is the celebration of choosing life over death. We know we're going to die. We all die. But survival is saying: perhaps not today. In that sense, survivors don't defeat death, they come to terms with it."


“The word 'experienced' often refers to someone who's gotten away with doing the wrong thing more frequently than you have.”




Son père était premier lieutenant pendant la 2nde guerre mondiale. Et les récits de ses exploits ont amené très jeune Laurence Gonzales a s'intéresser à la question de la survie : pourquoi son père avait-il survécu tandis que d'autres, si nombreux, étaient morts ? A force de recherches, il présente ici ses enseignements à quiconque s'apprête à faire l'expérience dans sa vie personnelle ou professionnelle d'un stress intense. Dans Deep Survival, Who Lives, Who Dies and Why ?, Laurence Gonzales combine science et storytelling pour rendre compte des mystères de la survie que ce soit dans la nature sauvage ou pour affronter n'importe quel challenge dans votre vie.


1 - "Les rênes de notre conscience doivent dompter les chevaux de nos émotions"


L'instinct est le mécanisme de survie de notre corps lorsqu'il se sent menacé : en situation de stress, plutôt que notre intelligence, c'est l'instinct qui guide notre action.

Que se passe-t-il d'un point de vue biologique ?

L'amygdale joue le rôle d'un centre de commandement de la peur. Elle reçoit les informations sensorielles de toute sorte qu'elle analyse et si elle détecte un danger, déclenche les changements physiques qui préparent le corps à une réaction rapide : afflux d'adrénaline, sang qui change sa composition pour pouvoir coaguler plus rapidement, digestion qui s'interrompt et nombreux autres changements chimiques préparant le corps à entreprendre tout ce qu'il faut pour immédiatement réagir (la fuite ou l'attaque).

Et sous le coup de l'émotion, le corps développe soudain des forces phénoménales. Qui par exemple n'a jamais piqué un sprint pour rattraper un bus afin d'arriver à l'heure à un rendez-vous important ?

L'instinct est la réponse immédiate du corps au danger, mais comme il est actionné en dehors de toute conscience - la raison est une tentative lente et faillible, tandis que l'émotion est sure, rapide et ne connaît pas d'hésitation - l'émotion peut jouer pour nous comme elle peut jouer contre nous : nous avons tous fait l'expérience d'être surpris à tort par la présence d'une personne dans une pièce, prêt à bondir, avant de réaliser que cette personne nous est familière et n'est pas un intrus.

L'amygdale interagit aussi avec notre mémoire à long terme qu'elle inhibe en situation de stress au profit de la mémoire immédiate, plus limitée : c'est-à-dire que nous sommes moins en situation d'analyser sous stress, notre perception diminue, nous voyons et entendons moins, et sous stress extrême notre champ de vision peut même se rétrécir.

"Emotions are survival mechanisms, but they don't always work for the individual. They work across a large number of trials to keep the species alive. The individual may live or die, but over a few million years, more mammals lived than died by letting emotion take over, and so emotion was selected. For people who are raised in modern civilization, the wilderness is novel and full of unfamiliar hazards. To survive it, the body must learn and adapt"

C'est la première chose qui fait la différence pour survivre : il faut savoir dompter son émotion et savoir la laisser s'exprimer quand il faut. Comment? Avec l'expérience.


"Although strong emotion can interfere with the ability to reason, emotion is also necessary for both reasoning and learning. Emotion is the source of both success and failure at selecting correct action at the crucial moment. To survive, you must develop secondary emotions that function in a strategic balance with reason."

Nous sommes tous nés avec des émotions primaires qui nous permettent de survivre : chercher à nous nourrir si nous avons faim, à nous agripper si nous manquons de tomber. L'expérience au cours de la vie nous permet d'apprendre et d'acquérir des émotions secondaires : le soldat qui se couche instinctivement lorsqu'il entend un sifflement de balle, le kayakiste qui se laisse porter par les flots lorsqu'il tombe à l'eau, ... tous ont acquis des réflexes qui sont comme une seconde nature.

En conclusion, ce n'est pas l'absence de peur qui distingue l'élite du reste de la population. Ceux qui survivent ont peur aussi, mais ils ne se laissent pas submerger par leur peur. Ils la maîtrisent :

They use it to correct action. Mike Tyson's trainer, Cus D'Amato, said, "fear is like fire. it can cook for you. it can heat your house. Or it can burn you down.

2 - "Lorsque nous faisons confiance à nos émotions"


Il existe un cerveau des émotions, comme il existe un cerveau de la raison.

A chaque émotion, notre corps place un signet - autrement appelé marqueur somatique - qui sert au corps à se rappeler le sentiment généré par une action précédemment vécue. C'est l'expérience.

Les signets d'expérience présentent un intérêt remarquable : pallier à une logique beaucoup trop lente pour être efficace dans un monde si complexe :

When a decision to act must be made instantly, it is made through a system of emotional bookmarks. The emotional system reacts to circumstances, finds bookmarks that flag similar experiences in your past and your response to them, and allows you to recall the feelings, good or bad, of the outcomes of your actions. Those guts feelings give you an instant reading on how to behave. If a previous experience was bad, you avoid that option. When it was good, "it becomes a beacon of incentive", to use Damasio's word.

Bien qu'utile, la mémoire des sentiments n'est rien si elle n'est pas modérée par la raison. Gonzales illustre cela par l'expérience menée en 1911 en Suisse par Edouard Claparède sur une de ses patientes qui n'avait aucune mémoire à court terme. Il la salue un jour en cachant une épingle dans sa main, ce qui la pique. Quelques minutes après elle ne s'en souvient déjà plus. Et pourtant, à partir de ce jour, sans savoir pourquoi, elle refuse de saluer Edouard Claparède et de lui serrer la main.

Thinking logically could not assist the patient in deciding whether to shake or not to shake Claparède's hand. But somewhere in her brain, her experience had caused her to bookmark the bad feeling of an emotion. (...) It was as if her body could learn (...) On the other hand, while the patient's learned response was correct in one circumstance, her lack of memory had robbed her of the ability to adapt the response for other circumstances. (...) She’d lost the flexibility that makes Homo Sapiens unique in the animal world.

Alors qu'à l'évidence, les fois suivantes, la patiente ne court plus de risque, elle se sent instinctivement et systématiquement en danger : la patiente, incapable de raisonner son émotion, a perdu toute flexibilité qui permet à la raison de discuter la pertinence des signets émotionnels, bref elle a perdu sa capacité à s'adapter.

3 - "La Construction de notre Représentation du Monde"


L'expérience construit la représentation du monde que s'en fait une personne et façonne son futur comportement. Il faut expérimenter, toujours et encore, pour disposer d'une représentation la plus juste de notre environnement, avec le risque associé à chaque expérience : celui de ne jamais savoir à l'avance avec certitude le résultat de la dite expérience.
As Joseph LeDoux put it, "people don't come preassembled, but are glued together by life". (...) A baby who doesn't walk, for example, will never risk falling and learning. But in exchange for taking that risk, he gains the much greater survival advantage of being bipedal and having his hands free.

En situation de stress, sans usage de la raison et donc sans appel à la conscience, le corps puise dans le passé le comportement qui lui semble le plus approprié à la situation rencontrée et réagit en conséquence. Dans ces circonstances, il existe un risque que le comportement soit inapproprié car la raison n'est utilisée qu'à posteriori, après la réaction du corps enclenchée par l'instinct.

Les perceptions vont suivre deux chemins. Elles vont d'abord atteindre le thalamus, une partie de notre cerveau qui a pour fonction de redistribuer l'information, puis le néocortex pour y être interprétées. Mais en même temps l'information est redistribuée, par un second circuit, via un chemin encore plus rapide directement jusqu'aux amygdales, qui détectent des éventuels signes de danger.

Les amygdales sont donc les premières à être informées. Elles n'ont rien de savantes, ce n'est pas leur fonction, elles jouent uniquement le rôle systématique de sonnette d'alarme : "Better safe than sorry". C'est un reste de notre époque primitive, ancien mais efficace.

Le néocortex est le second informé. Il analyse l'information et modulera ensuite la réaction déclenchée par les amygdales : (1) en reconnaissant qu'il y a une réponse des amygdales en action (2) en lisant la réalité et percevant les circonstances de façon correcte (3) en modulant à la baisse ou à la hausse la réaction première si elle est inappropriée (4) en sélectionnant une réaction seconde plus appropriée.

4 - "Nous choisissons ce que nous voulons voir"


Le monde dans lequel nous évoluons est à l'image du World Wide Web : un monde trop complexe pour être appréhendé sans de puissants outils de recherche qui filtrent les millions d'information disponibles. L'un de ces filtres internes, nous l'avons vu, est le signet émotionnel.

Un second outil est le modèle mental ou carte mentale. Ce modèle est une fabrication de notre esprit qui construit notre représentation schématique du monde. Nous ne nous représentons jamais le monde tel qu'il est dans sa complexité, mais de façon simplifiée.

Gonzales illustre cela par l'exemple d'un livre que vous cherchez dans une pièce. Si vous savez que ce livre est rouge, votre regard ne s'arrêtera pas sur chaque objet de la pièce - ce serait bien trop long - mais uniquement sur ce qui est rouge. Pour peu que vous vous soyez trompé et que le bouquin soit bleu, vous avez peu de chance de le trouver, même s'il est sous votre nez.

En construisant notre représentation du monde, nous excluons donc des certaines informations qui le composent car elles alourdiraient inutilement notre représentation :

"We construct an expected world, and find reasons to exclude the information that might contradict it. Unexpected or unlikely interactions are ignored when we make construction"

Ces représentations mentales du monde sont incroyablement fortes. Et il n'est pas rare de croire coûte-que-coûte à une représentation dont tout indique pourtant qu'elle est erronée - Gonzales cite le cas du randonneur qui casse sa boussole car il est persuadé de connaître la bonne direction et ne peut pas croire que ce que lui indique son instrument est correct.

Nous voyons ce que nous voulons bien voir.

Autre cas : celui d'une expérimentation réalisée par des psychologues d'Harvard. Ils font visionner à un groupe d'individus une vidéo de basketteurs se passant la balle. Ils demandent à certains individus d'un groupe A de compter les passes de l’équipe en blanc, tandis que d'autres du même groupe comptent ceux de l'équipe en noir. Le groupe B visionne lui le même film avec pour seule consigne de regarder ce qui se passe, pour pouvoir le raconter ensuite. Pendant le film, des choses étranges se déroulent sur le terrain. Il y a d'abord une femme avec un parapluie qui se promène quelques secondes, puis un comédien déguisé en gorille qui passe.

A la fin du visionnage, on demande "Que s'est-il passé sur le terrain ?" 35% de ceux qui comptaient les passes (Groupe A) n'ont pas vu la femme avec le parapluie. 56 % n'ont pas vu le gorille. A ceux qui n'avaient pas à compter mais à visionner (Groupe B), tous ou presque ont vu la femme au parapluie et le gorille.

Que s'est-il passé ? La mémoire immédiate que nous utilisons pour réaliser des tâches simples (ex. : compter des passes) ne peut retenir que six à douze actions en même temps et doit donc trier par priorité ce qui lui est utile dans l'instant.

Ceux du groupe A qui devaient compter le nombre de passes n'avaient rien d'autre à faire. Ils ont construit un schéma mental afin de réaliser cette tâche où toute autre chose que les concepts "Basketteurs", "Balle", "Passe" était inutile. Un gorille qui passe ? Superflu. Le cerveau ne le retient pas.

Dans un cas (Groupe A), la question "Comptez les passes", a créé un schéma mental clos où l'attention se portait sur une tâche simple. Dans un autre (Groupe B) la question "Que se passe-t-il ?" ne créait pas de schéma mental, pas d'attendu et plutôt une attitude d'ouverture.

Notre cerveau nous joue des tours et la plupart des chercheurs en ont la conviction, celui qui survit, c'est celui qui est capable de s'affranchir des représentations mentales ou du moins de les challenger pour en reconstruire de nouvelles en fonction des circonstances.

5 - "Lorsque nous restons inflexibles dans notre représentation du monde"


Dans Normal Accident qu'il publie en 1984, Perrow constate :

(1) que les accidents font partie intégrante du système. Autrement dit, il n'existe pas de système qui par sa complexité n'engendre pas un facteur de risque et d'accidents. Pour appuyer cette argument, il explique que la plupart du temps rien de sérieux ne se passe. Les acteurs du système ont donc la conviction que c'est le seul état possible des choses et en oublient la possibilité de l'accident. Jusqu'à ce que survienne un accident qui par son ampleur rappelle à chacun que le système est faillible.

(2) que toutes les tentatives pour réduire le risque ne le réduisent pas. Pire, elles contribuent à l'augmentation de ce dernier.

Gonzales complète et ajoute que nous avons tendance à organiser le monde autour de théories qui simplifient considérablement la réalité. L'économiste décrit les marchés et le comportement rationnel des agents en réfléchissant sur la base d'hypothèses qui ne résistent pas à un examen scrupuleux de la réalité. Si ces théories sont utiles parce qu'elles donnent du sens, dans un monde souvent chaotique, la règle ne vaut pourtant que dans l'absolu et la réalité ne fait que rarement l'expérience de cet absolu.

"Neither assumption reflects the messy real world."

Pour illustrer comment les accidents arrivent, Gonzales cite l'expérience menée par Per Bank, un physicien danois : il fait s'écouler du sable qui progressivement monte et forme une montagne de sable.

Des grains de sable roulent et tombent mais la pyramide de sable continue de monter, jusqu'au moment critique où le surplus de sable s'effondre d'un coup. La montagne n'ira jamais plus haut.

Comme la montagne de sable, le système connaît des ruptures soudaines. et d'autres plus insignifiantes (les grains de sable qui roulent). Ces accidents n'existent pas sans le système, ils font partie du système. Pendant longtemps rien ne se passe. Ce sont les grains de sable qui roulent tandis que la montagne continue de monter. Et d'un coup, toutes les conditions se réunissent pour que la montagne s'effondre. L'effondrement de la montagne est un événement majeur mais rare, tandis que les grains qui roulent sont nombreux mais mineurs.

Il en va de même des accidents dans un système : les accidents de grande ampleur sont rares ce qui nous les fait ignorer. Un accident d'avion n'est pas rare, de nombreux avions tous les jours ont des pannes qui parfois les obligent à se poser au sol. Souvent ses pannes sont mineures et sans conséquences. Et plus rarement, certains éléments conjugués mènent à des accidents d'avion d'une ampleur considérable :

"Large accidents, while rare, are normal. Efforts to prevent them always fail."


6 - "Nous n'aimons pas le chaos"



La théorie de l'homéostasie est une théorie qui prétend que nous disposons tous d'un niveau de risque que nous qualifions d'acceptable. Quand nous nous sentons en confiance, nous augmentons le risque pris. Inversement, quand nous nous sentons en danger, nous le diminuons.

Il en va ainsi des conducteurs qui augmentent le risque pris parce que les moyens technologiques qui équipent leur voiture - un airbag par exemple - leur donne le sentiment que leur niveau de risque a diminué.

Or, notre niveau de confiance peut être erroné : l'aphorisme d'Héraclite est ici riche d'enseignement : "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" :

"People routinely fail to realize that an accident not happening is not the guarantee that it won’t happen."

Le survivant est celui qui se sera adapté, autrement dit qui ne cessera de réestimer le danger qui l'entoure plutôt que de se laisser abuser par sa seule expérience :

"The survivor (...) doesn’t impose pre-exiting patterns on new information but rather allows new information to reshape [his mental models]. (...) Everyone, to one degree or another, sees not the real world but the ever-changing state of the self in an ever-changing invention of the world."